A tout prix et dans tous les cas, prôner la bienveillance

Être attentif au bien-être de l’autre, tout en prenant soin de soi, telles s’affichent les recommandations bienveillantes à suivre aujourd’hui.

De nos jours, la bienveillance est un concept très en vogue. Promouvoir cette approche semble évident puisqu’elle se veut tournée vers son prochain, débordante d’empathie, bienpensante et dotée exclusivement d’ondes positives. 

Exclusivement ? D’ondes positives ? Vraiment ? Ne servirait-elle pas plutôt les soucieux en quête de se donner bonne conscience ? Ne permet-elle pas de se dédouaner de quelques attitudes égocentriques dont on souhaiterait se racheter ?

Oh ma Palestine ! et Coca-Cola

Pour tenter d’en comprendre le mécanisme, autant user d’un exemple largement vulgarisé déjà, caricatural certes, mais tellement percutant.

Un point d'exclamation dans une main en bois

Cependant et avant de me lancer, je dois apporter une précision. Je déplore absolument les actions dictatoriales de Benjamin Netanyahu et son génocide. Ne me prêtez pas des propos que je n’énonce pas. Mais des pauvres « petites » gens qui subissent la colère des fous, on en rencontre dans tous les camps, en Palestine, en Israël et chez Coca-Cola. Vouloir préserver un peuple, ne fût-ce que par les idées, n’induit pas qu’on cautionne les actes de son Premier ministre.

Et à contrario, désirer protéger une population n’implique pas d’en exterminer une autre (ah ! la condescendance occidentale !). Si c’en est la conclusion, nous disposons de la preuve que nous manquons tous cruellement de nuances et de vérités.

Comme je l’introduisais, c’est important d’agir en toute bienveillance et de le faire valoir sur les réseaux sociaux, surtout. D’ailleurs, les internautes invitent les influenceurs à se positionner dans les conflits que le public s’approprie. De l’invitation à la contrainte, il n’y a qu’un pas. Les influenceurs sont obligés de se montrer bienveillants, car ils influencent. Seule la bienveillance peut influencer sans limites, puisque c’est bien. Nous nous interdisons d’influencer le mal. Il ne reste plus qu’à définir le bien et le mal. 

Mais est-il crédible d’établir ces notions une bonne fois pour toutes et pour tous ? Pour tous les âges, toutes les cultures, toutes les conditions ? 

Permettez-moi encore de m’interrompre, mais j’ai des doutes. À l’heure où on crie, que dis-je ? où on s’égosille, à l’inclusivité, à la reconnaissance des différences tous azimuts, on voudrait lisser à ce point un des fondements de notre humanité, celui du bien et du mal ?

Mais, pardon, je m’égare ou je m’emporte. Je m’éloigne du sujet en tout cas.

Des pions, tous les mêmes, devant une map monde

Aujourd’hui, la bienveillance consiste à affirmer son soutien à la Palestine et rien d’autre. Dès qu’une fraction des followers s’offusquent d’une attention contraire ou d’un manque d’action, les influenceurs ciblés ne tardent pas à recalibrer leur approche. Ils doivent maintenir leur popularité au sommet et ne peuvent donc garder une neutralité mesurée. Ils doivent prendre parti sous peine de mise au placard, après tout c’est quand même leur gagne-pain, même si parfois le pain se révèle gros. Alors finalement qui influence qui ? On peut se poser la question en toute légitimité.

Une main en bois avec une plume rouge

À me relire, je note plusieurs mots : « obliger » et « interdire » surtout. La bienveillance se résume-t-elle aujourd’hui à obliger le bien et à interdire le mal ?

Il reste toujours à définir le bien et le mal et certains s’y usent avec conviction et militantisme ; et la liberté, et la vérité ? Que reste-t-il de notre liberté individuelle ? Que deviennent nos vérités, dans une telle conjoncture ?

La bienveillance se résume donc à une nouvelle dictature. Je n’ai pas trouvé d’autre mot.

Nous sommes revenus à l’heure des excuses publiques et je souhaite citer le cas d’Océane RTHN, l’influenceuse. Pétillante, passionnée de beauté et de mode dont elle joue la parfaite ambassadrice, elle se décline en plus d’un million de followers sur Insta à coup de commentaires « glabellifiques ». Elle a eu la mauvaise idée d’entamer une campagne de vidéos avec Coca-Cola. En 2024 ? Avec Coca-Cola ? Non ? Si ! 

Elle ne s’est pas rendu compte de l’erreur, n’y a pas songé un seul instant en signant son contrat. Forcément, Océane s’occupe de dénicher les meilleurs make-up pour ses ouailles et se préoccupe peu de politique. Mais vous n’y pensez pas ? S’engager avec Coca-Cola alors que la sphère occidentale réseautique appelle au boycott des grandes enseignes américaines !

Alors pourquoi pas avec Coca-Cola ? Parce que depuis les années 60, la marque entretient des échanges privilégiés avec Israël, financerait ainsi cette guerre horrible ; et nous le savons tous, les States sont pro-Israël. Mais Coca-Cola ne tisse-t-elle pas des liens étroits avec beaucoup de nations dans le monde entier ? Que se cache-t-il vraiment derrière cette attitude pro-israélienne américaine que personne n’ignore ? Qui en connait la vérité exacte ? Les médias ? Vous ? Moi ? Sérieux ? Qui se trouve réellement dans ces petits papiers-là ? Et 15 ans plus tôt, vers 1945, est-ce que les Américains n’étaient-ils pas pro-alliés ? Ah oui, mais ça c’était avant et ils avaient déjà leurs intérêts inavoués ailleurs (c’est le secret de polichinelle qui se répand aujourd’hui sur la toile pour légitimer le mouvement bienveillant). Et du coup, depuis près de 65 ans, les 333 millions d’Américains sont pro-israéliens, les 700 mille employés de Coca-cola à travers le monde sont pro-Benjamin Netanyahu et les Palestiniens ne boivent plus une goutte de Fanta. Non, mais je rigole un peu, moi qui ne m’accorde pas avec mon voisin sur la façon d’éradiquer les taupes dans nos jardins. Pauvres petites bêtes. 

Quand l’influence se milite

Je vous propose un petit tour de carrousel. Je vais introniser le grand ON, ainsi personne ne se sentira responsable, c’est plus simple et en parfaite adéquation avec les nouvelles habitudes bienveillantes. Les influenceurs boostent le bien, ON a décidé que c’était leur rôle. Lorsqu’ils dérapent, ON appelle au boycott, ON réclame les excuses publiques ou l’échafaud. Et parce que ce n’est pas suffisant et pas assez rapide, d’autres instigateurs, plus puissants, plus anciens, gardiens du bien, militent pour ces causes devenues collectives. Ils redressent chaque coup déviant, tirent les oreilles aux petits instagrameurs en déroute et à Océane. Dès qu’un nouveau cas d’hérésie apparait, ON le colporte sans délai auprès d’une tête plus haute. La boule de neige grossit à une vitesse folle, plus de 580 Megabits par seconde, un effet papillon colossal, du jamais vu. On se repose la question de « qui influence qui ». 

Dans cette atmosphère « néopensante », je m’interroge sans cesse de façon angoissante : est-ce que la voix unique, bienveillante, est aussi maitrisée qu’elle le laisse entendre ? Le mouvement est lancé, s’autoalimentant à une allure fulgurante. Qui est réellement capable de le cadrer ? N’avons-nous pas balancé un missile boomerang ?

Bref, les influenceurs sont les inquisiteurs des temps modernes, pour le bien de tous c’est évident ! Aujourd’hui, ON doit tous choisir son camp, impossible de rester neutre ou mitigé, mais surtout, ON doit choisir le bon camp et renier tous les adversaires, sans demi-mesure. 

Est-ce que renier un camp dans son entièreté n’est pas le début d’une ségrégation, un refus d’inclusivité ? Est-ce que boycotter une population et la mettre sur la paille n’est pas une autre forme de génocide, moins direct, plus vicieuse ? Avons-nous réactualisé la loi du talion, œil pour œil, dent pour dent ? La même que nous trouvions barbare et grotesque il y a peu.

Aujourd’hui, il n’est plus question de nuancer son avis, de le modérer, de prendre du recul, de se positionner ailleurs. Nous n’avons même plus le droit de rester ignares. Nous devons opter pour le bon choix et nous encombrer de la masse entière qui va avec, sans distinctions.

Et on recommence

Je me souviens d’une aire ultra catholique, particulièrement bien racontée dans les témoignages extraordinaires de Thérèse D’Ávila, où les influenceurs de l’époque avaient établi les fondements de l’Église. Elle y relate entre autres le cas d’un curé ayant succombé aux charmes d’une femme un peu légère, certes, une sorcière sans doute, sous l’emprise du malin. La faute appartenait à la vilaine, sans l’ombre d’un doute. Le pauvre bougre n’avait simplement pas eu de chance de l’avoir rencontrée. Il fallait dès lors l’exorciser et lui pardonner alors que la malheureuse hurlait sur le bucher.

Finalement, le monde a peu changé, si ce n’est par les moyens ou les outils. La même mauvaise foi sous le couvert du nouveau sacré : la bienveillance, qui règne en maître. L’homme moderne se passe de Dieu, la lapidation ne se pratique plus à jet des pierres, mais il est toujours question de museler ceux qui ne s’alignent pas dans le bon rang. Nous sommes d’ailleurs obligés de nous y plier sous peine de décapitation virtuelle.

Pour mon bien-être

Puisque nous avons répandu le bien sur Terre pour avoir liké et supporté les causes retenues comme nobles, nous avons même versé une poignée d’euros dans une cagnotte populaire, le temps de penser à soi est arrivé. Cela nous permet de nous soustraire à notre entourage. Inutile de dire bonjour au voisin ou d’aider la petite vieille à porter ses sacs jusqu’au troisième, nous avons déjà acquis notre quota de bienveillance, sur le grand réseau qui plus est. La masse mondiale le sait, c’est cela qui importe, et on se moque des taupes de l’autre, tant qu’elles ne débarquent pas chez nous.

À bien y réfléchir, nous ne pouvons que constater la déprime qui nous ronge toujours lorsque nous rentrons à la maison, malgré nos bonnes actions. Nous nous sommes disputés avec cette horrible collègue qui n’a de cesse de nous juger, de nous mettre des bâtons dans les roues, à s’en demander la raison. Comment peut-elle nous considérer ainsi, elle, au regard de tout le bien que nous avons répandu largement dans le monde ? 

Oui, mais dans la vraie vie, c’est du chacun pour soi. Je dois me protéger des pervers narcissiques dont le nombre monte en flèche, penser à moi sans tenir compte de l’avis des autres et faire uniquement les choses dont j’ai envie. C’est l’équilibre réseautique. On voit défiler autant de postes à l’attention des boycotts bienveillants que ceux qui nous invitent à l’autocentrisme salvateur. Hors de question d’aller à cette soirée pour récolter des fonds et permettre à Maëlle de réaliser son rêve : participer au championnat du monde de body painting. S’engager pour une cause publique, généralisée, mais surtout impersonnelle et lointaine, c’est obligatoire, mais lorsqu’il s’agit de faire plaisir autour de soi, c’est plutôt déconseillé. Nous risquons même gros pour notre bien-être et notre santé mentale, peu importe que ce soit au détriment des autres. La sympathie de voisinage n’a pas la cote, elle traduit une faiblesse impardonnable : « Arrête d’être trop gentille », « tu te laisses marcher sur les pieds »…

Des mains jointes avec une fleur jaune

Si j’avais rêvé de vivre au moyen-âge, c’eût été pour profiter de la nature, de l’absence d’une population invasive, des lieues à parcourir à pied ou à cheval sans rencontrer l’ombre d’un humain, mais certainement pas pour la doxa catholique désireuse d’épuration ni les guerres de religion. Il apparait plutôt stupide de s’affranchir de la gloire à Dieu, pourtant porteur du bien universel, pour retomber dans un schéma identique et destructeur. Si vous me l’accordez, j’aimerais élever ma voix et tirer quelques sonnettes d’alarme quant à la direction que nous prenons, elle me semble relativement dangereuse et effrayante. Si nous nous ouvrons enfin à la tolérance, à l’inclusivité, à la biodiversité, après des siècles de terreur et de muselage, c’est inimaginable de le réaliser au travers d’une pensée unique et totalitaire, comme le suggèrent aujourd’hui les magnats de la toile. Je propose aussi à Océane RTHN de revenir à ses vidéos Coca-Cola et d’honorer son contrat, avant que je ne me fasse conduire au bucher.

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Malédicte

Quand on croit en l’amour, plus fort que tout, comme le seul principe vrai, authentique pour réunir les hommes ; quand on est architecte, qu’on dompte avec les arts le gout du beau et les techniques, le sens de la précision et de la perfection ; quand la société vous bascule du bien au mal, du bonheur aux coups bas et ne vous fait aucune fleur ; quand on vit d’écriture comme un seul moyen de poser ses émotions et de laisser vibrer leur sensibilité, leur fragilité ; on déboule un jour ou l’autre, le cœur chargé de mots, de phrases, d’histoires à partager dans une maison d’édition.
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